Courir pour et pas contre, vivre pour

Ce nouvel épisode aborde la suite de mon voyage en Malaisie, mon retour à Vancouver et la course pour de bonnes causes.

 

Retournons donc quelques semaines plus tôt, en Malaisie...

 

Retrouvailles poétiques

 

Le décalage horaire a parfois du bon. Mes yeux étaient grand ouverts depuis 4 heures du matin. J’écoutais la quiétude de la nuit, bercée par le ronronnement du ventilateur et le chant des insectes nocturnes. Je sais que viendra bientôt mon moment favori de la journée : le lever du soleil. C’est si beau d’entendre le monde s’éveiller, les oiseaux initier les actions, le ciel faire glisser la couverture de la nuit, constellée des dernières faibles étoiles au firmament. Tout est calme et les mondes transitionnent.

 

Je suis partie faire un jogging dans le coin et c’était magnifique. Il faisait encore nuit et j’ai entendu le premier appel à la prière. Les parfums capiteux des jasmins, frangipaniers et autres fleurs emplissaient l’air. Il y a toujours un premier oiseau qui chante, avant qu’un autre lui réponde, puis que les autres types d’oiseaux engagent eux aussi des conversations matinales. J’ai l’impression que des singes se joignent parfois à cette chorale animale. J’adore écouter les chants complexes des oiseaux. Il me semble que ce sont des chants ancestraux, des histoires mythiques sur la fragilité et la beauté de la vie, les retrouvailles, la beauté du monde et l’amour. En Australie, je me souviens de ma famille qui me disait : « Les premiers jours, on est émerveillés puis au fil du temps, on aimerait bien qu’ils se taisent ! ». On sous-estime ces ténors...

 

La floraison artistique

 

L’art est en train de prendre une place plus importante dans ma vie. Je réalisais récemment (le 31 mars dernier), qu’il y a un an, j’étais sur scène pour le projet « De la plume à la scène » à La Boussole, pour cette unique représentation. Aujourd’hui, je prépare une autre pièce avec Magda Ochoa. Je ne peux pas trop en dire mais après une phase d’adaptation à six mains, je vais devoir apprendre mon texte pour être prête pour fin septembre. J’ai une grande chance de pouvoir à la fois travailler pour donner la chance à d’autres de faire du théâtre-forum et de moi-même continuer à faire de la scène.

 

Je vais aussi continuer la musique avec mes deux acolytes musiciens, Daniel et Massimo. Nous jouons les morceaux originaux de Daniel et les miens que Massimo arrange. Nous avons fait une scène ouverte et c’était la première fois que je jouais en trio sur scène. Ca faisait bien longtemps que je n’avais pas refait de scène en tant que musicienne et j’étais quand même très stressée. Il faut dire que j’ai déboulé quelques minutes avant qu’on nous avertisse que c’était notre tour. Nous avions pu faire seulement deux chansons. Ca allait sur celle de Daniel mais sur la mienne, assaillie par le trac, j’allais un peu plus vite et je me suis plantée à un moment. Heureusement, Daniel et Massimo m’avaient sauvé la mise et ça ne s’est pas trop entendu.

 

Nos répétitions me donnent beaucoup d’énergie, même si elles m’en prennent aussi.

 

La langue

 

En arrivant, j’étais autant émue par la chaleur enfin retrouvée que le Bahasa Malaysia sur les panneaux de signalisation et publicitaires. Je n’ai pas été en contact très longtemps avec cette langue, tout comme avec le Malagasy, mais ce sont des langues très proches de moi, des langues de coeur, des langues d’adoption. Je me suis sentie plus qu’accueillie dans ces pays, je me suis sentie chez moi, intégrée pour de vrai, absorbée telle qu’elle. On a pris Nathalie comme elle est : réunionnaise, française, bizarre, unique, artiste, drôle, humaine. J’imagine bien que les expériences de chacun sont différentes et que j’ai sans doute eu de la chance mais je ne parle que de ma perspective, je l’avoue.

 

Je suis heureuse de comprendre la majorité des interactions basiques en Bahasa malaysia. C’est comme un écho de ma vie précédente, lorsque je vivais en Malaisie en 2019... 

 

J’aimerais beaucoup apprendre le cantonais pour mieux communiquer avec ma famille mais c’est un objectif pour l’année prochaine.

 

La gratitude

 

J’ai éprouvé énormément de bonheur en Malaisie. J’ai pris du recul sur ce bonheur et à mon avis, je le dois aussi aux autres. Bien sûr, je suis le moteur de tout ça mais on évolue au contact des autres.

 

Je reprends des forces pour pouvoir aider les autres.

 

Escapade chez les coupeurs de tête et correspondance culturelle

 

Nous avons fait un tour au centre culturel Mari-Mari et c’était une très belle expérience. Niché dans une jungle luxuriante, ce centre culturel permet de découvrir tout au long d’un parcours les coutumes et les cultures des différentes tribus présentes dans la région de Sabah, sur l’île de Bornéo.

 

La végétation m’a clairement rappelé les Seychelles. Les arbres sont grands, contrairement à la Réunion balayée par les cyclones et où la végétation a du se densifier pour résister aux assauts des vents puissants. Les feuilles des arbres sont aussi très grandes. Un petit ruisseau coulait et faisait entendre un son de carillon.

 

C’était bien fait, pas condescendant ni colonialiste et mettait bien en valeur les traditions locales. Ça m’a rappelé les expériences culturelles maori en Nouvelle-Zélande (la meilleure approche que j’ai vu pour l’instant). Evidemment, il y a aussi des similitudes culturelles tout autour de l’océan pacifique. 

 

Quelques éléments dans les huttes ont aussi encore une fois validé les théories que j’avais lu sur les voyageurs malaisiens arrivant à Madagascar. Nous avons en commun, non seulement la nourriture mais de l’artisanat : j’ai vu un bertel (nom réunionnais d’un sac à dos tressé), des vans (nom réunionnais de paniers ronds tressés) et des objets en rotin (appelé ratan en Bahasa Malaysia). C’est beau et émouvant de se dire qu’on est tous liés à ce point.

 

Nous avons expérimenté un trampoline traditionnel, uniquement fait des branches et de rotin. Le petit groupe d’étrangers que nous étions s’est pris la main et a d’abord appuyé plusieurs fois en cadence avoir que tout le monde saute dans les airs après un décompte. Quand on expérimente ce simple « jeu », on sent pourtant la cohésion du groupe. Nous montons tous ensemble dans les airs pour essayer d’attraper un objet fixé au plafond. Symboliquement parlant, c’est très fort.

 

C’était aussi très symbolique d’entendre notre guide parler de la lame utilisée pour couper la tête des ennemis et de nous en montrer une. Il nous a expliqué que chaque trou dans la lame signifiait le nombre de têtes tranchées par cette même lame; elle en comptait huit. Je pensais que les trous fragiliseraient la lame, mais mon compagnon m’a expliqué qu’au contraire, la région autour de celui-ci n’est que renforcée. Ça me fait penser au kintsugi.

 

Lien maternel marin

 

Malgré la présence de méduses, apparemment quasiment mortelles pour certaines, j’ai retrouvé l’eau cristalline de la mer. J’étais tellement heureuse d’enfin nager avec les poissons. C’est mon berceau. J’ai une relation très charnelle avec l’océan.

 

Mon compagnon m’a avoué être venu avec moi mais ne pas être totalement à l’aise dans cet élément. Pour moi, être dans l’eau, c’est être en sécurité. Etre dans la mer, c’est être dans mon élément, c’est être l’élément, être la mer elle-même. J’étais sans doute un animal marin dans une vie antérieure. Bien sûr, les coraux sont un peu sombres parfois et peuplés de créatures mais c’est plus fort que moi, je dois aller les voir, nager (pendant des heures si possible), flotter, explorer les lagons, entendre des sons de l’extérieur absorbés et entendre les poissons croquer les coraux, entendre le clapotis des vagues sur la plage, être ballottée par elles.

 

La sensation du sel sur ma peau m’a ramenée à mon enfance, à ces dimanches à la plage, au sable doux sous mes pas dans l’eau, à ces sorbets après un bon bain obtenus en courant derrière le camion de glaces à la musique aussi hypnotisante que le chant des sirènes.

 

Fin des vacances...

 

Je termine l’écriture de cet article alors que les vacances s’achèvent. C’était de belles retrouvailles après plus de trois ans. J’ai pu reconnecter avec la nature et ma famille. Encore une fois, je sais que j’ai beaucoup de chance et je pense à ceux qui ne peuvent pas rentrer chez eux pour mille raisons. Je veux leur envoyer mon amour.

 

... et retour à Vancouver

 

Le retour n’a pas été aussi brutal que je le pensais. Je retournais vers des personnes que j’apprécie, que j’aime, vers un emploi que j’apprécie beaucoup et une routine agréable.

Je suis revenue avec beaucoup d’énergie solaire en moi, prête à la partager avec tout le monde.

 

La course BMO

 

J’ai fait la course BMO récemment. Je détestais courir avant, surtout dans des pays au climat tempéré car l’air froid entrant dans mes poumons me faisait l’effet de mille aiguilles dans les poumons.

 

Puis, je me suis dit que je devrais essayer des choses que je n’aimais pas ou que je n’avais pas l’habitude de faire. Courir était donc en haut de ma liste. Puis, j’étais curieuse de voir ce que ça faisait de faire partie d’une course. Je dis bien faire partie de et non, courir contre, me battre contre. Je voulais faire partie d’un tout. Je n’ai pas été déçue.

Je voulais m’entraîner sur au moins deux mois mais entre un emploi du temps un peu chargé et des vacances où je me suis vraiment détendue, courir n’était pas la priorité. J’y suis donc allée avec un entraînement vraiment minime. J’allais courir de temps à autre en salle, sur une elliptyque, histoire de préserver mes articulations.

 

La veille de la course, je suis allée chercher mon dossard et mon t-shirt et j’étais vraiment très surprise que c’était déjà comme aller dans une fête. Bien sûr, il y a l’aspect commercial : on veut vous vendre les équipements dernier cri, les meilleures barres céréalières et autres chaussettes promettant monts et merveilles. Mais au-delà de ça, il y a aussi des organismes qui montrent d’autres choses : les différentes destinations marathoniennes, des organismes de charité...

 

Cette course existe depuis 1972 et attire des milliers de participants. On a le choix entre trois courses : le marathon (donc 42,2 kms), le semi-marathon (21,1 kms) ou le 8 kms. On peut courir en individuel ou en équipe et on peut même courir pour un organisme de charité listé sur leur site.

 

Avant la course, j’avais du temps et j’ai joint la foule qui était allée encourager les inconnus courant le semi-marathon. Je trouvais ça fort de donner du courage à des personnes qui se donnent sans que nous nous connaissions.

 

Sur la ligne de départ, l’ambiance était très bonne, loin de la compétition pure et dure.

L’image d’un homme tenant un panneau avec les mots « Remember your « why » (Souvenez-vous de la raison pour laquelle vous courez, votre « pourquoi ») reste gravée en moi. Evidemment, j’ai pensé à mon « why » et à ce moment, je me suis dit : je vais courir pour les personnes qui ne peuvent pas faire cette course et pour les personnes que j’aime. Ces mots ont été joués en boucle dans ma tête.

 

Assez ironiquement, lors des premiers mètres, un itinérant, assis à côté de son vélo et de ses sacs, nous regardait passer... Tout aussi absurde que l’image de bus scolaires oranges, ces navettes prêtes à nous emmener et de cet homme, itinérant, couvert d’un duvet, avant des brochures de nouveaux condos et développement immobilier autour de lui.

Donc ça m’a vraiment fait pensé à mon « why », au fait que je veux courir pour quelque chose, que quand je vis et que je travaille, je le fais pour une cause : autrui.

 

J’aurais pu courir contre ou pour moi-même et je l’ai sans doute fait, courir contre mon temps, contre des chiffres mais au final, à quoi ça rime ? Pourquoi courir contre quand on peut courir pour ? Le fait de mettre du sens, d’être concentrée sur mes messages intérieurs, de me repasser les noms des personnes que j’aime, puis à un moment, je suis arrivée en moi à un moment que j’ai vécu aux Seychelles, le « sauvetage » de mon père. Je le mets entre parenthèses car ce sont ses mots, pas les miens. Pour moi, je devais juste le faire. Je me suis dit : repense à ce moment où tu as du agir, garder ton calme et bien respirer, te dire que tu peux le faire, sans pression, sans forcer, tu peux nager.

 

J’ai apprécié être dépassée, voir les personnes marcher, ni me sentant jamais supérieure ou inférieure mais faisant partie du tout, comme un poisson dans un banc de poissons.

Sur la fin, j’avais le soleil dans les yeux et pas mes lunettes de soleil. J’ai voulu pousser, j’ai accéléré un peu pour passer la ligne d’arrivée. J’ai failli me casser la figure sur une petite borne séparant les arrivées de 8kms et du semi-marathon mal balisée. Puis je me suis arrêtée d’un coup, ne pouvant pas continuer ma foulée et j’ai vraiment failli vomir. Cet arrêt trop brutal pour mon corps m’a fait prendre conscience que j’avais demandé beaucoup à mon corps, que c’était ok mais qu’il ne fallait pas non plus pousser.

 

Puis on m’a remis une médaille pour avoir participé mais ce que je vois en la regardant, ce sont les messages que j’ai eu à ce moment : courir pour les personnes qui ne peuvent pas et ceux que j’aime.