C’est l’heure du bilan. D’habitude, on fait le point en fin d’année, en décembre. Mais finalement, juin et notamment le solstice d’été, sont aussi un moment où il est intéressant de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur.
Il y a plus d’un an, je courais la course BMO avec beaucoup d’espoir et de recul. J’avais acquis un recul me permettant de me donner entière au moment et au fait de faire partie d’un tout. Depuis, cette unité a été soumise à bon nombre d’épreuves et hélas, mon attention s’est recentré, fort malheureusement, sur mes luttes internes.
Depuis, une alternance d’évènements heureux comme la venue de mon frère (la toute première personne à me rendre visite à Vancouver depuis que j’y habite, soit 4 ans) par exemple et d’évènements moins réjouissants, sur lesquels je ne peux m’étendre, m’a fait un peu perdre le fil et ne plus savoir sur quel pied danser. J’essaie de me raccrocher aux moments précieux et beaux du passé mais j’ai l’impression qu’ils pâlissent dans ma mémoire au point que je doive relire sur ma vie passée, revoir des photos pour me dire que j’ai bien vécu cette vie-là. Pour la première fois de ma vie d’adulte, j’ai la même adresse sur une période très longue pour moi : 4 ans. La moyenne a plutôt été d’un à maximum un an et demi sur la majeure partie de mes pérégrinations hors du foyer parental.
Une fois de plus, j’ai l’impression de me créer ex nihilo. J’essaie de raccorder des wagons en vain, de trouver des traits d’union dans mon identité, de les créer comme on essaie de saisir une brume pour faire une sculpture. Je ne tente même plus créer; je sens la source tarie, je n’ai pas le temps, je n’ai plus d’énergie.
Depuis plusieurs mois, je me sens comme un golem avec malfaçons; je prends forme, j’essaie d’accomplir la tâche ordonnée puis je me désagrège, avant de me reformer puis de me désagréger à nouveau.
Des problèmes de santé vont et viennent comme la marée, des attentes administratives sans fin me tourmentent comme des harpies, des failles ouvertes par la thérapie (mais il le faut bien pour guérir à long terme) ouvrent parfois la terre sous mes pieds et mille difficultés pour avoir une routine sportive décente (alors que l’année dernière, tout était parfaitement huilé et constant) me désespèrent.
Cependant, dans ce terrible maelstrom, j’ai la chance d’avoir la constance de mon compagnon, toujours là à me soutenir.
Mais actuellement, j’ai perdu le goût comme ils disent. Avant, l’étincelle venait tout de suite, comme une allumette qu’on craque. Aujourd’hui, je suis seule avec ce son d’abrasion, de magie perdue, sans feu dans une solitude glacée. Je n’arrive plus à trouver la joie d’avoir aidé un ou une inconnue, d’avoir tenu une porte, d’aider autrui sans rien attendre en retour. Je n’attends rien, je ne veux pas être dans des relations transactionnelles mais je déplore simplement de ne plus avoir cette magie de l’abandon (il y a don dans abandon).
Je crains l’amnésie existentielle; de ne plus me souvenir de qui je suis, de ce que j’ai fait et d’errer dans le monde, comme ce monsieur dont je m’occupais, victime d’une AVC, qui avait vécu une vie riche mais qui avait basculé dans le présent total, avec pour seules traces des cartes postales jaunies dans son appartement. Peut-être que cette rencontre était un signe annonciateur de ce qui m’attendait aujourd’hui, de cette pente vers la perte de mémoire. Je n’ai plus de personnes physiquement autour de moi pour me rappeler ce que j’ai vécu, des personnes avec qui j’ai partagé ces moments et ces aventures. En quelque sorte, je suis déjà passée dans un autre monde, celui des spectres, avec cette identité et cette mémoire qui pâlissent.
Mais j’essaie de ne pas oublier le goût de la résilience. Elle m’apparaît comme une gourde dans le désert; je parvenais à déguster cette eau fraîche dans mes traversées difficiles, ne laissant que quelques gouttes humecter mes lèvres séchées par un vent de détresse. Mais me reste-t-il de l’eau aujourd’hui ?