Printemps équatorial

Je recommence à écrire un 1er avril. Ca pourrait être une blague mais non, je reprends le fil de mon blog adoré, laissé longtemps en jachère en raison de mille questionnements que je ne voulais pas asséner comme des coups de bambou à mes lecteurs.

 

Me voici à l’aéroport de Vancouver, prête à quitter cette ville, quasiment trois ans et demi après. Trois ans de pause dans mes voyages incessants, détentrice d’une terrible empreinte carbone avec mes vols autour du monde. Pour ma défense, j’ai voyagé dans le but de m’établir quelque part, à la recherche d’une terre fertile pour m’enraciner quelque part. Evidemment, j’ai croqué à pleines dents les nouvelles expériences, les nouvelles découvertes et surtout les nouvelles rencontres dans les contrées lointaines. Lointaines les unes des autres, lointaines de mon chez moi, puis j’en suis venue à me demander quel était mon chez moi, puis mon chez moi est devenu des personnes, puis finalement une petite partie en moi-même lors que la dépression a créé un silence assourdissant dans ma tête et dans mon corps.

 

Le pivot

 

Me voici donc à un nouveau moment où tout bascule, un pivot magnifique et vertigineux. Après trois et demi d’expériences inédites car je n’étais jamais restée aussi longtemps au même endroit aussi longtemps depuis mon enfance, c’est l’heure d’une sorte de bilan, de coup d’oeil dans le rétro.

Je ne reviendrais pas sur la dépression, sur l’envie de me jeter d’un pont car finalement, c’était un épisode que je reconnais, que j’accepte et qui m’a permis de grandir. Je préfère offrir à mes lecteurs le récit de cette aventure excitante et extrêmement enrichissante qu’est mon emploi à La Boussole.

 

Le théâtre-forum à La Boussole

 

Je m’épanouis dans mon poste de coordinatrice de projet de théâtre-forum. Ce théâtre d’intervention sociale est un puissant outil pour faire réfléchir, sensibiliser et donner le pouvoir aux victimes d’inégalités sociales. C’est un travail délicat avec beaucoup de responsabilités. Je me sens au service d’une cause plus grande que moi et du coup, j’oublie beaucoup de freins. L’ego n’est pas au volant, la peur de ne pas être assez bien, de ne pas être à la hauteur ou de ne voir à l’écran sont mises en sourdine pour laisser mon envie, la mobilisation de différentes compétences acquises lors d’expériences totalement différentes.

 

Et puis je travaille avec une superbe équipe, avec des intervenantes extra, avec des bénévoles fantastiques et des participants très engagés.

 

Bien sûr, cet exercice théâtral remue et même choque par les thématiques qu’il aborde. Les inégalités sociales sont encore trop répandues et surtout, trop banalisées. Mais ces moments difficiles offrent aussi l’opportunité pour les personnes touchées de sensibiliser le public et de donner des éléments pour s’adresser correctement à une personne par exemple ou à changer d’attitude et devenir plus respectueux.

 

Retour à l’habitat naturel

 

Depuis le hublot d’avion, en voyant la lumière, quelque chose en moi a été très ému de retrouver cette ambiance. Je savais que dans les prochaines minutes, mon corps allait retrouver cette moiteur équatoriale si dense que certains haïssent et que j’aime tant, cette lumière crue, cette brise attendue lorsqu’il fait trop chaud, ce soleil brûlant sur ma peau. Je me sens comme un poisson qui retrouve l’eau, surtout celui qui s’enfouit dans le lit des rivières asséchées et qui attend le retour de la crue. Je me sens comme ces tulipes et autres fleurs de printemps s’épanouissant aux premiers rayons de soleil et aux températures clémentes.

 

Le trajet vers la ville m’a rappelé l’île Maurice avec cette conduite à gauche et cette végétation tropicale. Les motocyclistes m’ont rappelé pêle-mêle Maurice et Madagascar. Toutes mes précédents voyages s’entremêlent avec le temps.

 

La Malaisie est loin d’être juste une destination de vacances au soleil pour moi; c’est un retour vers tellement de choses. C’est un retour à un _ parmi plusieurs _ tournant dans ma vie. C’était la première fois que je ne préparais pas un voyage, que je voulais me laisser surprendre et me laisser vivre un peu. C’était aller voir, sans le savoir, une énième version des racines du peuplement de la Réunion, une énième version de mes racines.

 

Ce matin, à l’appel du muezzin, des chiens du quartier hurlaient en coeur. Ce témoin des cohabitations des différentes communautés (nous sommes dans une communauté majoritairement chinoise et chrétienne et le Ramadan est fêté par la communauté musulmane) me ramène à la Réunion où il est normal de respecter la confession de ses voisins. Evidemment, que ce soit à la Réunion ou en Malaisie, il y a toujours des accrocs parfois mais dans l’ensemble, les choses se passent plutôt bien.

 

Autant j’apprécie ce retour à la chaleur et aux conditions de vie « normales » pour la réunionnaise d’origine que je suis, autant j’ai le temps d’apprécier ma vie et surtout mon travail à Vancouver. Avant de découvrir le sens du mot « community » (je le laisse en anglais car son sens change en français), je souffrais du jugement qu’on posait sur moi; Nathalie est « trop gentille », « tu vas te faire avoir à tout le temps être comme ça », et probablement dans mon dos, Nathalie est une « bonne poire ». Lorsque je suis entrée en contact avec le concept de « community centre » (centre communautaire), tout a fait sens et je me suis enfin sentie à ma place. Oeuvrer pour la société, pour le bien commun, en offrant un accueil inconditionnel; voilà enfin ce que je peux faire et qui je suis.

 

Je suis enfin relancée dans le processus d’écriture et ma prochaine publication abordera mes projets artistiques adjacents prévus pour l’été et l’automne.