La symphonie humaine

Les inconnus qui vous parlent dans la rue

 

Nous étions en train de déguster un savarin lorsqu’une dame se mit à nous parler. La conversation fut enclenchée par un « Ah oui, c’est bon ça ! » Cette dame incroyable nous a fait voyager en nous racontant qu’elle était archéologue spécialisée dans les maladies anciennes. Mais que son vrai rêve non-accompli aurait été d’être volcanologue. Elle avait même une app sur son téléphone pour suivre l’activité volcanologique autour du monde en temps réel. Nous avons eu droit à une véritable conférence de cette habitante de l’île de Vancouver, apparemment régulière de ce salon de thé de Vancouver. Elle nous a ainsi révélé qu’elle était originaire d’Europe, qu’elle avait habité, entre autres, le Japon et qu’elle était veuve.

 

Les gens nous parlent, les gens me parlent. C’est incroyable comme ils se livrent. Savent-ils que je respecte leur parole ? Que je ne révèlerai jamais rien qui puisse les mettre en porte-à-faux ? Qu’ils peuvent me faire confiance ? Est-ce pour cela qu’ils se livrent si naturellement à moi ?

 

Je m’en suis fait le serment lorsque j’ai embrassé la carrière journalistique. Il était crucial de faire ce pacte avec moi-même. Je pense que je portais en moi avant même le tournant journalistique d’ailleurs. Et je n’oublierai jamais une dame dont je m’occupais à Paris, lorsque je faisais de l’aide à domicile.

 

Pas commode, elle m’avait même accusée de lui avoir volé de l’argent en allant faire des courses. Je pense plutôt que son boucher m’a bien roulé mais bref, je lui ai rendu la différence. Je ne sais pas vraiment si c’était personnel, si elle ne m’aimait pas, si elle n’aimait pas ma couleur de peau, si elle n’aimait pas ou plus les gens, et finalement, peu importe car elle m’a fait vivre un moment important et c’est ça le plus important.

 

Alors que j’étais partie faire ses courses, que je rentrais haletante d’avoir monté je ne sais combien d’étages avec mon chargement, elle m’avait demandé de m’assoir un instant. Et elle s’est livrée. Elle m’a raconté son arrivée difficile à Paris pour une fille de province. Elle m’a raconté des étapes difficiles de sa vie. Je sentais comme un relâchement dans son attitude. Pas sympathique mais il fallait qu’elle se livre à ce sujet.

 

Le lendemain ou deux jours plus tard, j’ai appris son décès par mon employeur. J’étais et même en écrivant aujourd’hui ces mots, je suis sincèrement émue. Peut-être soulagée pour elle, qu’elle ait pu se confier à quelqu’un à ce sujet avant de partir.

 

Puis il y a cette dame sur le quai du Skytrain, qui commença de la même façon, sur un sujet anodin, la présence de travaux qui annulaient les trains à partir de 23h30. Cette dame philippine m’a alors proposé de m’assoir près d’elle pour continuer la conversation. J’ai alors appris qu’elle travaillait à l’hôpital et qu’elle souffrait des genoux. Elle disait être habituellement timide mais qu’après l’expérience du confinement (pourtant léger à Vancouver comparé àau reste du pays et à d’autres pays), elle trouvait finalement agréable de discuter comme ça avec quelqu’un.

 

Elle m’a aussi demandé si nous nous étions rencontrés auparavant. C’est drôle car cette question m’est revenue dans beaucoup d’endroits et de pays différents : un jour à Paris dans un supermarché, un autre à la Réunion et encore un autre, en Australie. C’est drôle de souvent  ressembler à une connaissance, quelque soit l’endroit, quelque soit la langue.

 

Les conversations dans le Skytrain

 

L’autre jour, Yew Meng et moi étions dans un Skytrain moyennement rempli. On a pu entendre dans nos dos, une conversation entre deux jeunes qui avaient, devant toute évidence, leur premier rendez-vous amoureux. Ce lieu était assez singulier pour ce type de discussion.

 

Nous écoutions les questions et réponses, un peu raides de ces nouveaux tourtereaux. Il y avait quelque chose d’assez mécanique dans l’échange, peut-être dû au stress et à l’émotion. Les questions allaient d’un simple intérêt pour une couleur ou pour le pain (non, aucun d’eux n’était pourtant français) à des questions beaucoup plus intimes et coup de poing pour un premier rendez-vous : Parles-tu facilement de tes émotions ?

 

Pourquoi je travaille sur un podcast

 

Le son est important pour moi. Quand on y réfléchit, l’apparition du téléphone a créé, au moins pour ma génération et les précédentes, un lien très important avec le son. On pouvait percevoir des tons, c’était une belle symphonie de silences, de bruits dans le fond, de prosodie.

Aujourd’hui, certains sont terrifiés à l’idée de répondre à un appel téléphonique et se réfugient derrière chats et autres messageries instantanées. Ce monde où seules les notifications animent l’atmosphère, quand le téléphone n’est pas sur vibreur, est sujet à tellement de malentendus, de mauvaise interprétation. Il l’est aussi parce que le vocabulaire y est très pauvre. Je lisais récemment « 1984 » de George Orwell (oui, vous pouvez me clouer au pilori pour avoir attendu si longtemps pour le lire) et la novlangue est là. Je suis pourtant partisane du camp de l’évolution de la langue : elle évolue. Mais elle perd tout de même des mots et du coup, du sens au passage.

 

C’est étrange dans un sens car la technologie est de plus en plus avancée pour qu’on se voit, qu’on s’entende mais socialement, nous nous renfermons de plus en plus, on refuse l’image, la voix au profit de messages digitaux froids. Au moins, les petits mots griffonnés sur du papier à l’école laissaient une trace plus personnelle avec l’écriture manuscrite.

 

L’atelier de gamelan

 

Publik Secrets, un collectif d’artistes, a organisé un atelier de gamelan dans le cadre du festival ExplorAsian. Nous avons eu la chance d’y assister, dans le parc Hadden, non loin de la plage de Kitsilano. Cet instrument m’a toujours fasciné.

 

Le gamelan est originaire de Bali et d’Indonésie. Son son est produit par une frappe sur des cylindres soit métalliques soit en bois. On ne peut pas en jouer de façon isolé, il fait partie d’un ensemble. Les autres instruments de l’ensemble sont des percussions, des gongs et autres instruments dont je ne peux pas parler, n’étant effectuer qu’un atelier de découverte.

 

Les artistes Robyn Jacob et George Rahi nous ont présenté les instruments et nous ont montré comment en jouer avant que nous nous exécutions. Nous avons appris une suite simple. Quelque chose de très organique s’est passé en moi. Ces vibrations étaient très douces et puissantes à la fois. Ce son était relaxant et hypnotique : j’étais totalement absorbée par le son et le moment. Bien sûr, il devait y avoir de la concentration pour ne pas se tromper mais au-delà de ça, l’expérience m’a menée un peu plus loin que ça. A force de répéter cette suite simple, j’ai commencé à effectuer un petit balancement de mon corps : c’était comme le reflux des vagues, comme une brise qui anime un feuillage. Il y avait un mouvement doux en moi.

 

Puis nous avons joué la suite en doublant les frappes et en variant le volume. Nous avons alterné le murmure et la présence, le bruissement et le rayonnement. J’ai senti ce pour quoi j’aime la musique : le côté organique des instruments. Pour moi, rien ne vaut la pratique d’un instrument organique, qu’il soit de bois ou de métal et plus que tout, rien ne vaut un concert en chair et en os devant ces artistes jouant de ces instruments. Évidemment, ça ne m’empêche pas d’apprécier les basses bien lourdes d’un bon morceau de métal.

 

Nous sommes restés dans la zone, invités à assister à la répétition de l’ensemble. C’était d’une beauté intemporelle, c’était un conte musical, c’était une peinture animée avec des sons. On peut voir les sons si on se concentre bien. Des couleurs mais aussi des formes. Là, c’était une peinture avec beaucoup de profondeur, plusieurs plans et des actions incroyables. Certains motifs me faisaient vraiment penser aux motifs utilisés sur les tissus de la région (Indonésie, Bali et Malaisie) : il y avait comme une rotation, semblable aux feuilles qui s’enroulent.

 

À cet instant, j’ai eu l’impression que tout était un tissu : la musique, la communauté, le temps... Des fibres qui s’entremêlent.

 

J’ai commencé la musique en jouant à l’oreille, sur un petit piano pour enfant. J’ai eu la chance d’avoir un an de cours avec un très bon professeur et d’apprendre la musique classique. Il était assez souple et bon pédagogue : il me proposait de transcrire les musiques j’aimais (donc le rock) au piano pour que je puisse les jouer. Puis j’ai rencontré Dominique Amouny, extraordinaire professeur de musique carnatique. Il a mis en musique l’une de mes chansons. Mais surtout, il m’a fait découvrir le chant indien et les quarts de ton que j’affectionne.

 

J’étais très heureuse que les gens s’arrêtent, écoutent, absorbent cette musique. Certains prenaient des photos et des vidéos, applaudissaient à la fin du morceau. J’étais heureuse de voir l’intérêt du public pour l’art, pour une musique si belle et si différente, de voir cette soif de culture et de partage, cette écoute du pouls humain à travers la musique.